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Afficher : C'est jouer les prolongations

Ici, le roi est mort. Mais le mort est roi, alors vive le roi.

 

Les photos des défunts s’accumulent sur les murs de la ville. On colle les uns sur les autres des visages avec un nom, une date, et une dernière parole.

La page nécrologie du journal quotidien est ainsi rendue disponible sur les murs, devenus l’espace des agences de pompes funèbres qui s’arrachent un carré de parpaing pour y faire vivre un mort.

Ils s’arrêtent devant, et repartent d’un pas lourd. 

 

Les murs appartiennent à tous, mais vient un jour où tous leur appartiennent. 

Alors, comme avec un calendrier de l’avant qui durerait une vie, on vient prendre la température de notre existence en comptant les jours avec des avis de décès. Ca nous rappelle qu’on est là, mais pas pour toujours. Qu’un jour nous aussi, nous ne serons plus que des repères pour d’autres, incrustés dans une horloge murale. 

 

 

Corrado Bertolo : Le dernier avis en date. Alors c’est vrai tout ça. C’est pas qu’une tapisserie. C’est la vie pour de vrai.

Appuyant son index contre les photos, il insiste à nouveau, un sourire de vainqueur sur le visage : 

 

 

 

« Mais tu vois, toi et moi, on y est pas ! » Et il s’en va, radieux, lançant l’éternel « Ciao ». Aujourd’hui, tout les deux, on avait échappés à l’agenda du mur; nous pouvions rentrer chez nous sereins. Presque.

Le long d’une rue pavée de Noto, un vieux monsieur concentré sur ce sombre tableau des petites annonces lève furieusement les yeux sur moi. D’un large sourire, l’air de vouloir me rassurer, il s’exclame en italien :

Me, ti, non ci 

siamo !

Il rit fort, puis me serre la main d’une poigne forte, bien vivante. Ce visage là est bien loin de raser les murs… 

Pour m’assurer que ces photos ne sont pas simples décorations, sorte de manèges superstitieux pour intimider les plus peureux, je lui demande s’il en connaissait un. Il me répond, l’air pétillant :  

Si ! Lui, signore Corrado Bertolo ! 

 

Ma vedi, ti e me:

non ci siamo !

_____

 

__ _ _ _

 Ici le mur est le dernier espace. L’espace de la dernière chance. 

L’endroit où le sentiment, la vie, sortent de leur secret, de leur clandestinité. Ils quittent la chambre, la cuisine, pour devenir officiels et s’installer dehors, à la vue de tous. Ils quittent la précarité pour s’établir vérité. Ainsi ils sont infinité. Ils jouent les prolongations.

 

 

 

 

Ici finalement, où est la frontière entre la chambre à coucher et l’Hôtel de Ville puis que les portes des appartements sont toujours ouvertes sur les passants, et que des chaises sont posées dehors, donnant à chaque nouvelle artère l’impression de pénétrer dans un intime.

 

 

 

 

 

Ici on joue les prolongations. 

 

Ici il y a une vie après la mort.

Pour Maria Laura, le verbe "afficher" en italien, affigere, est le plus difficile à conjuguer. Et le plus irrégulier...

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