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En politique, comme ailleurs, le hasard n’existe pas. L’agenda gouvernemental propulse ce lundi les ministres aux Mureaux (Yvelines) pour un conseil interministériel consacré à la politique de la ville ; nous commémorons le dixième anniversaire des révoltes de 2005. Depuis son arrivée au pouvoir, François Hollande a déçu les habitants des quartiers populaires. Ils lui reprochent les promesses envolées. Pour preuve, la semaine passée, le Président a été accueilli par des sifflets lors de son déplacement à La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Dix ans plus tard, est-ce trop tard ? Tentative de réponse avec le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, Patrick Kanner, qui était jeudi du côté de Forbach, à la frontière franco-allemande.

 

10 h 45. Gare de l’Est, leçon numéro 1

Chemise rose pâle, cravate bleue à pois blancs, cheveux bien peignés et rasés de près, Kanner s’installe en première classe. Il dispose ses dossiers jaunes sur sa tablette. On nous prévient : il faudra le laisser réviser ses fiches avant d’arriver. L’entretien débute. Qu’est-ce que la politique de la ville ? Il la résumerait à «une politique de rattrapage» des années d’urbanisation et de désindustrialisation massive. Aujourd’hui, cette politique veut être à l’image d’une sainte phrase prononcée par Hollande lors de son discours à La Courneuve : «Il n’y a pas de quartiers perdus pour la République.» Et pourtant.

 

11 h 09. Un ministre inconnu

Le contrôleur passe. Il ne reconnaît pas le ministre et lui demande sa carte d’identité. Tout le monde à la même enseigne. Kanner reprend. «Il faut redonner de la fierté à ces quartiers, aller leur dire qu’on les aime»,dit-il. Ravalez votre sourire moqueur, monsieur le ministre est très sérieux. Il n’a jamais cru au CV anonyme, parce qu’un nom, une couleur, une adresse ne doivent pas être un handicap. Ainsi, il ne dira jamais «Zyed et Bouna», mais prononcera leur nom en entier : Zyed Benna et Bouna Traoré. D’ailleurs, mardi, il se rendra à Clichy-sous-Bois pour déposer une gerbe.

Le ministre revient sur la dernière sortie de Nicolas Sarkozy lors du dîner annuel du club Choiseul 100 : «Les banlieues doivent arrêter de faire culpabiliser la République.» Ce qui lui permet de rebondir sur François Hollande : «Je souhaite qu’il se représente. C’est le seul rempart contre l’extrême droite.» Pour le droit de vote aux étrangers, le ministre regrette : «Oui, on aurait dû.»Il regrette aussi que l’Etat conteste la décision du 24 juin de la cour d’appel de Paris. Il y a bien eu «faute lourde» sur les contrôles d’identité au faciès par la police.

Midi. «Un coup de foudre humain»

Place Charles-de-Gaulle, Metz. Nous plongeons dans une Renault Mégane aux vitres teintées. Direction la sous-préfecture de Forbach. Dans la voiture réservée «à l’entourage», qui roule sur la file de gauche, la conseillère presse parle d’un Kanner jovial, très attentif. Elle fait monter les enchères, précisant que l’ancien adjoint au maire de Lille dit bonjour à tout le monde. Une engueulade et une seule, «après laquelle il m’a rappelé pour s’excuser». «C’est un coup de foudre humain», dit-elle.

 

12 h 50. 100 % d’origine

Déjeuner à la résidence du sous-préfet de Behren-lès-Forbach. Le plan de table est fait, 14 invités aux cheveux grisonnants, l’air gourmands, une femme. Les journalistes président. Le sous-préfet justifie la nappe en dentelle, les tapisseries et la boiserie : «Tout est d’origine ! Mais c’était à une époque où l’on ne comptait pas.» Kanner mène la danse :«Expliquons à nos amis journalistes l’histoire de la ville de Behren.» On se croirait en colo. «Il y avait du boulot et 17 nationalités cohabitaient»,explique le maire. Depuis la fermeture des mines, le taux de chômage s’élève à 40 % et la majorité de la population quitte le centre pour les alentours. Le ministre prend la température : «Pression migratoire de par la proximité avec l’Allemagne ?» «Non», répond le maire.

Kanner veut parler de Florian Phillipot. Le candidat FN de la région avait tenté de s’imposer aux municipales de 2014 face à l’actuel maire de Forbach, Laurent Kalinowski, ici présent. «Les migrants, c’est son seul fond de commerce», s’agace le ministre.

14 heures. Inspection des travaux finis

Mairie de Behren-lès-Forbach. Un bâtiment immense et moderne. Celui qu’on appelle le «Chirac du Nord» sert toutes les mains. Des panneaux d’exposition installés aux murs présentent toutes les opérations en cours. Le ministre présente son diagnostic, à raison de dix secondes par panneau : «Là, on a aligné du logement» ; «ici, il faut un désenclavement» ; «ça fait 85 % de logements sociaux ?» Le ministre est invité à signer le livre d’or. Bousculades. Morale de l’histoire :«Transformer Behren en un projet de vie.» Autour de la mairie, un chantier et des «maisons locatives», couleurs pastel. Pas un commerce. Dehors, le ministre cherche une proie. Un piéton. Il lui sert la main.«Vous êtes là depuis quand monsieur ?» Quinze ans. «Vous êtes bien ?»On est tranquille. La promenade se poursuit, sous la pluie, on voit l’Allemagne au loin et on parle de l’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) : «C’est 6 millions de nos concitoyens et 5 milliards d’euros de subventions.» La marche touche à sa fin. Une femme veut un selfie avec le ministre. Puis, merci à tous et bon courage.

 

14 h 25. Rattrapage

Ecole de la deuxième chance, ouverte en 2005. Chaque année à Forbach, ce sont 120 jeunes «au parcours chaotique» que l’établissement rattrape par le col. Une dizaine d’élèves assit en cercle, l’un porte un maillot du PSG. Le ministre sort sa carte sport : «Ah, PSG… C’était pas terrible hier soir, hein ?» Chacun raconte son expérience de jeune abîmé par l’échec, par étape de plantage. Lucien a une grosse voix, des grandes mains aux doigts noircis par la mécanique. Fin pédagogue, il raconte au ministre comment il a fini par tout arrêter. Kanner n’est pas intimidé, pas gêné, il écoute chaque histoire et dit «monsieur» et «madame», car on n’a plus le droit de dire mademoiselle. Assis avec les jeunes comme un grand-père à qui l’on se confierait, il veut créer du lien. Le mot «école», il vous fait peur ? Pas de réponse, juste deux trois «non» au fond. En conclusion, comme si Kanner était le père Noël, un jeune demande de partir en «voyage pédagogique à Barcelone». Le ministre se marre.

 

15 h 20. Il suffit de peu

Centre social du Wiesberg, un des quartiers prioritaires de l’Anru. Dernière ligne droite. Au programme, un conseil citoyen. Le micro passe entre les mains et tous remercient Kanner d’être venu. La fierté et l’émotion se lisent dans les regards. Le ministre propose que ce centre devienne le siège d’une de ces «maisons de projet», dont il ne cesse de rappeler l’importance. Un train n’attend pas. Sans avoir pu goûter aux petits biscuits faits maison, le ministre s’en va. Applaudissements.

 

17 h 16. Retour au bercail

Dans le train pour Paris. «Vous voyez, il faut des Macron et il faut des Kanner», plaisante-t-il. Comprendre, une politique de bureau, mais aussi de terrain. Alors monsieur le ministre, surpris par votre journée ?«Par les jeunes de l’école, oui. Ils étaient vraiment marqués et venaient tous de quartiers qu’on a lâchés.» Le bilan du déplacement est positif. «Aujourd’hui, j’ai mérité mon salaire.» Mais Kanner dit être fâché, dégoûté face à tant de souffrance. Drôle de salaire. «La suppression des postes dans les écoles par Sarko, on les paye. Ce qu’on n’investit pas pour l’école, on le paie en réparation sociale.»

 

18 heures. «Y a le feu»

Kanner sait que le contrat de ministre est à durée très indéterminée. Mais il dit vouloir utiliser ce temps au maximum. Surtout aujourd’hui, si près des élections régionales. «Vous avez vu le sondage ? On a besoin d’union, de rassemblement, plus que jamais.» Il parle du sondage dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, sa région, qui pourrait passer entre les mains de Marine Le Pen. «Y a le feu», dit-il gravement. Dix ans plus tard, les voitures ne crament plus. Mais ça brûle encore.

 

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