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à la suite de la publication de Mon cousin le fasciste (Seuil), interview du journaliste et auteur Philippe Pujol

 

Dans ce livre vous montrez qu’il est possible de discuter avec ce que vous appelez « ce trou à la Lewis Caroll », ces « radoteurs de haine ».

 

« C’est plus que possible. C’est nécessaire, c’est notre job en tant que journaliste. C’est presque notre unique fonction. Aller voir ce à quoi une partie du public n’a pas accès, et raconter. Avec un angle bien sur. Moi j’ai un angle.

Je ne me pose même pas la question « est ce que je dois ? ». Ca, c’est une forme de fainéantise de la part de gens qui ne savent pas faire, et qui se cachent derrière une sorte d’objectivité. L’objectivité ça n’existe pas. Le simple fait de raconter est une subjectivité.

Notre boulot de journaliste, c’est de raconter le réel.

Puisqu’il y a une montée de l’extrême droite en France, et bien il faut y aller. Et sans trop intellectualiser la chose. En tant que journaliste, moi j’adore me retrouver avec des méchants. Il ne faut pas mélanger sa citoyenneté avec son métier : c’est très important. Ils ont toujours su qui j’étais, je ne me suis jamais fait passer pour un allié.

Comprendre, c’est le but de l’homme. Pour pouvoir agir dans le sens qui nous parait être le bon. Bien connaitre son ennemi, ça te permet de mieux le combattre.

 

Pour qui avez-vous écrit ?

 

J’écris pour le mec assis au bar d’en face. Le chauffeur de taxi qui prend une pause au bar PMU. Mon lecteur, je veux que ce soit un lecteur populaire. Quand j’ai sorti La fabrique du monstre, des mecs de cité m’ont dit que c’était le premier livre qu’ils avaient lu de leur vie.

Mais au fond, je crois que ce qui est le plus important, c’est que j’ai ma manière d’écrire. Je ne pas me soucie pas de ce que les lecteurs veulent entendre. Il ne faut jamais se poser la question de ce que veut l’auditeur, le lecteur. Sinon ça devient du marketing.

 

Mais dans ce livre, votre sujet est un membre de votre famille, votre cousin. Comment atteindre les autres ?

 

C’est sûr que d’un point de vue journalistique pur, je gagnais un temps fou. En plus j’avais déjà la relation de confiance, qui est essentielle.

C’est dur, mais il faut vraiment trouver des modes d’organisation pour entrer en contact avec les populations qui se sont tournées vers l’extrême-droite. Sachant que ça va chahuter, que ça ne va pas être simple parce qu’eux ils ont l’impression que le grand soir arrive. Alors que nous, on a l’impression qu’on va vers l’apocalypse. Mais il faut démultiplier, et sur du long terme, les rencontres. Même si pour ces élections, c’est peut-être un peu tard. Mais vous savez il n’y a pas un extrémisme uniforme. Ils n’ont pas tous les mêmes détestations, les mêmes xénophobies. Certains s’attaquent aux "pédés", d’autres aux "arabes", aux "nègres". Ils ne sont pas tous d’accord sur leur ennemi, ni même sur la méthode. Ajoutez à ça les guerres d’égaux, ça fait que ce petit monde de l’extrême droite se déteste. Il faut jouer sur cette fragilité là.

 

 

Par ailleurs, c’est l’entre-deux qu’il faut essayer de convaincre. Ceux qui peuvent encore basculer. Les autres, pour le moment ils ne bougeront pas. Ca sert à rien d’essayer d’aller les convaincre. Ils sont persuadés qu’ils vont sauver la France. Ils se posent du coté des résistants là où nous nous serions des collabos. Il y a une inversion totale de la rhétorique.

 

Que peut la culture ?

 

Dans les années 80, le milieu culturel de l’époque c’était la New Wave, le punk, les poètes punks. Eux, ils touchaient les classes populaires. Aujourd’hui c’est toxique, la majorité raconte n’importe quoi, il n’y a pas de fond. (Il cite le rappeur PNL, Jul : « C’est pitoyable. C’est pas rebelle, c’est idiot, c’est pas festif »).

Il faut lutter contre la désinformation, se déconnecter des réseaux sociaux, les contourner. Car ils ne servent à rien, ils ne sont pas propices au débat, personne ne lâche sa position.

Plus que le journalisme, c’est la culture qu’il faut à nouveau remettre sur le terrain, car c’est ça le nerf de la guerre. Les classes populaires dévorent le journalisme poubelle, car il joue sur l’émotion. Avec la culture qui disparaît et Facebook qui, dans ces smileys, ne propose que six types d’émotions différentes… L’offre est pauvre !

Il évoque, dans son livre : « Ce mélange des genres (porno, foot, talk-show, fiction, déconne et expérimentations…) » p 112

Il faut redonner de l’espoir, de l’utopie, les écouter, les interviewer, discuter, les raconter, les prendre en photo, tout en montrant les mécanismes de radicalisation, sans les stéréotyper. »

Propos recueillis par Alice Babin

 

 

Passages du livre :

 

  • P13

« Je comprenais qu’Yvan depuis longtemps était en guerre. Son idée : rien de moins qu’instaurer une dictature en France, rétablir la Nation France. C’est le pouvoir hypnotique de cette doctrine qui m’intéresse dans ce livre. »

 

  • p.107

« C’est l’avènement du reportage-pizza, commandé par une rédaction en chef selon les idées reçues du moment, le sujet est fabriqué pour générer de la satisfaction. Donner aux gens ce qu’ils doivent savoir plutôt que ce qu’ils veulent savoir. »

 

  • p.116

« Si le scénario d’une prise de pouvoir fasciste reste encore très improbable, l’activisme des groupes nationalistes européens reste préoccupant, comme la montée de leurs vitrines

démocratiques. En France : le Front national. Si Marine Le Pen ne prend pas le pouvoir en 2017, elle s’en rapprochera toujours plus, à la grande joie de tous ces militants que j’ai pu rencontrer dans mes pérégrinations fascistes avec mon cousin. »

 

  • P.121 - 122

Par l’inconfortable digestion des légendes européennes, les chimères resurgissent des tombeaux. Celle d’un peuple sous la protection d’un seigneur, celle de l’homme providentiel… Le roman historique de la Nation France… Une mystique nationale… {…} Yvan voit son pays comme une maison, avec un père de famille qui est l’autorité. Mais la métaphore de la maison, comme toutes les métaphores, se retourne facilement pour démontrer l’exact contraire. Car si la nation est une maison, rares sont ceux qui partent vivre dans une maison isolée, sinon pour des vacances. L’homme a besoin d’échanges. D’échanges quotidiens, de contradiction, de nouveauté, de créativité. L’Histoire ne nous apprend que trop que les peuples souffrent quand ils sont enserrés dans leur géographie. Yvan, son monde tiendrait derrière un front de guerre. Le bonheur hermétique, sous verre.

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