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Mercredi soir, la Maison de la Poésie à Paris (3e) affichait complet.

 

La lumière baisse, et le public se met à applaudir, joyeusement, jusqu’à ce qu’il arrive. Alain Mabanckou débarque calmement sur scène, s’assoit, et le public applaudit de nouveau, le visage tiré par les sourires. Lunettes noires posées sur le crâne, chemise blanche et pantalon à pois, il n’a pas encore parlé que déjà sa présence fait l’unanimité.

Ce soir, c’est vrai, la salle est plus métissée que d’habitude.

 

Alain Mabanckou est venu parler de son dernier livre, Le monde est mon langage,  publié chez Grasset. Un livre qu’il faudra lire, il l’annonce en préface, « comme une autobiographie capricieuse ». Une autobiographie ? Pourtant ce livre est un recueil de vingt portraits d’hommes et de femmes, de Montréal à Conakry en passant par Port-au-Prince et Château Rouge. Mabanckou rencontre et raconte vingt personnalités, connues et inconnues, mais finalement toutes liées par le partage de la langue français.

 

Le livre s’ouvre sur une carte du monde projection Peters, qui, contrairement à la projection de Mercartor à laquelle les manuels scolaires nous ont servilement habitués, tente de faire apparaître la taille réelle des continents. Ainsi par exemple, l’Afrique découvre son vrai visage, 14 à 15 fois plus grand que l’est représenté le Groenland sur une carte projection Mercartor…  Comme avec le Dalaï Lama, le public boit ses paroles en hochant la tête ou en acquiesçant d’un sourire, se disant qu’il faut profiter, tout prendre, car bientôt Mabanckou aussi rentrera chez lui, en Californie.

 

Né au Congo, il vit en France avant de choisir l’Amérique comme port d’attache « pour mieux réfléchir, pour prendre de la distance » dit-il. Aujourd’hui il écrit : « Le monde est ainsi mon langage. Ce monde, je l’ai découvert par le biais de la langue française grâce à ceux qui la magnifient, quels que soient leurs origines, leur patrie, leur accent ou leur accoutrement ». Ce soir à la Maison de la Poésie, le public redécouvre le français, et par la même occasion, le monde. « Le français est une langue jalouse » affirme l’auteur. Jalouse et surtout effrayée, à l’idée de réaliser qu’elle concerne 274 millions de personnes, qui la parlent et l’écrivent différemment, dans 80 États.

 

Au Congo, Alain Mabanckou raconte qu’il parlait six ou sept langues, des dialectes, plus le français qu’il apprend à partir de six ans, à l’école. « Pendant longtemps dit-il, je ne savais même pas que le français venait de France ». Silence. La salle ne rit pas, tant elle réalise que nous faisons fausse route. Le français n’est pas chasse gardée de la France, et la France n’est pas non plus le premier de la classe de français. Écoutez-le, comme il fait les liaisons et comme il prononce des mots que la France a déjà oublié, les remplaçant par de l’anglais. « Au Congo, à l’oral, on parlait comme dans les livres. C’est pour ça que le subjonctif imparfait a mît du temps à nous quitter ! ».

Ce soir, et à travers Le monde est mon langage, Alain Mabanckou nous offre en fait deux leçons, et certainement les plus importantes : Une leçon d’humilité, et une leçon d’humanité.

 

L’auteur regrette qu’encore aujourd’hui il y ai un français « du centre », et un français « de périphérie ». Un français juste, un français roi, et un français qui devra toujours apprendre, tapi dans l’ombre. Que ce soit bien clair : Mabanckou n’écrit pas dans la langue des maîtres. « Par contre, je dois décoloniser la conscience des jeunes africains » explique-t-il. Il raconte entendre parfois des phrases du type : « Mabanckou, il magnifie notre langue », et il s’énerve : « Mais d’où vient cette paternité ? », comment peut encore prospérer une telle sensation d’exotisme lorsqu’un homme noir parle, écrit, crée en français ? Le sentiment de périphérie n’est que dans les esprits, et il n’y a pas de doute, Alain Mabanckou s’est engagé à le neutraliser. Il y a de la place pour tout le monde en littérature, « mais il va falloir se risquer à lâcher un peu Flaubert pour Sony Labou Tansi (écrivain congolais, ndlr) ».

 

« Il faut aller regarder le nombril des autres, explique-t-il. Parce qu’on a vite fait le tour du sien ». Il explique d’ailleurs que c’est bien cela, le problème des xénophobes. « Ils raffolent tant de leur propre nombril qu’ils se mettent à haïr ceux des autres, juste parce qu’il est différent ».

La littérature francophone qu’il défend, l’auteur préfère l’appeler « littérature monde » histoire d’ouvrir au maximum, de décentrer. Bref, vous avez compris.

 

Une autobiographie à partir de la vie d’Autres, c’est une idée de maître, de génie. 

Ce pourrait être la morale de l'année ; Elle arriverait à point, et serait signée Mabanckou.

 

 

 

Le monde est mon langage, Septembre 2016, Grasset

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